Le sourire et l'identité



Ce même soir il retrouva une photo, prise à son école primaire de Charny ; et il se mit à pleurer. Assis à son pupitre, l'enfant tenait un livre de classe ouvert à la main. Il fixait le spectateur en souriant, plein de joie et de courage ; et cet enfant, chose incompréhensible, c'était lui. L'enfant faisait ses devoirs, appréhendait ses leçons avec un sérieux confiant. Il entrait dans le monde, et le monde ne lui faisait pas peur ; il se tenait prêt à prendre sa place dans la société des hommes. Tout cela, on pouvait le lire dans le regard de l'enfant.
-- Michel Houellebecq, Les Particules Elémentaires (1998)


Contrairement aux apparences, le but de ce texte n'est pas de parler des (vastes) différences entre enfants et adultes, ni des Particules Elémentaires, livre qui n'est d'ailleurs pas fantastique. D'abord, il n'a rien à voir avec les particules élémentaires. Ensuite c'est un de ces romans déprimants où les gens mangent des barquettes de loup au cerfeuil et vont dans des camps bizarres faire des gestaltmassages. Enfin le style est insupportable, genre dans la Cité de la Peur quand Gérard Darmon trouve du tissu, le film enchaîne par un mini-documentaire sur le tissu (humour), hé ben là c'est le même procédé répété sur 300 pages. Et puis qu'est-ce que ça veut dire, "Seuls les Juifs échappent au regret de ne pas être nègres, car ils ont choisi depuis longtemps la voie de l'intelligence, de la culpabilité et de la honte." ? C'est une blague ?

valid input
"Le sujet doit fixer l'objectif. Il doit adopter une expression neutre et avoir la bouche fermée."
La poétique norme iso/iec 19794-5 : 2005 est limpide sur ce point : interdiction de sourire sur les photos d'identité à usage administratif en France.

Ce genre de contraintes peut soulever des questions existentialistes, du style est-ce que la personnalité doit être découplée du bonheur, mais au fond, toutes les conditions imposées (la taille, la qualité, la luminosité, le contraste, le fond, la position, l'orientation, l'expression...) ne le sont que pour des raisons bassement techniques. Les progrès des technologies de reconnaissance faciale et l'évolution de la pertinence des modèles tridimensionnels du visage permettent peu à peu la mise en place de routines d'identification automatique des personnes présentes sur des images obtenues par différentes sources, ou la prédiction de l'évolution d'un visage avec le temps. Pour cette raison tout justifie le recours à un standard bidimensionnel, à une norme, pour les photos d'identité officielles.

Les caractéristiques du visage sont une manifestation macroscopique de l'ADN, paraît-il ; une signature ADN constitue dans ce cas une clef primaire exemplaire pour la caractérisation d'un être humain ; seulement il semble techniquement difficile d'obtenir une empreinte ADN d'un sujet de manière distante, systématique et non-destructive. Une photo s'avère un succédané satisfaisant ; dans ces conditions les images enregistrées par les caméras publiques peuvent être amenées à servir à identifier les humains se situant dans un intervalle spatiotemporel déterminé.

Ainsi peut être effectuée la constitution d'une base de données concernant l'ensemble d'une population, les données photographiques de référence étant acquises et mises à jour lors de la réalisation de documents légalement obligatoires attestant officiellement de l'identité. Au fur et à mesure de l'évolution des technologies de reconnaissance de forme, les humains photographiés ou filmés peuvent progressivement être mis en correspondance avec les photos d'identité de la base de références, ces dernières ayant été standardisées grâce à la norme ISO.

Assez curieusement, il n'est pas du ressort de l'ordinateur de distinguer les photos d'identité vérifiant [iso/iec 19794-5 : 2005] de celles n'y étant pas fidèles ; ce sont les employés des mairies qui font le boulot, en analysant chacune des photos avec leur cerveau avant de décider de leur conformité. Ainsi ce type de décision revêt une responsabilité plus importante qu'il n'y paraît...

Voyons maintenant de quelle manière pourrait être implémentée cette base de données.

morphable model
A Morphable Model For The Synthesis Of 3D Faces, du MPI de Tübingen

morphed hanks
Dans la modélisation du MPI de Tübingen, un visage humain est représenté par un couple (S,T) de vecteurs, S étant le vecteur forme (shape-vector) de N triplets de coordonnées, et T le vecteur texture (texture-vector) de N triplets de couleurs. Tout d'abord, le modèle est alimenté par m visages scannés au laser, ces m visages (Si, Ti) serviront de base à tout visage quelconque, lequel pourra être exprimé comme barycentre (α,β) des m visages exemples. Le sous-espace de R6N généré par les Si et Ti forme l'espace "visagial" total. Ensuite, il s'agit de faire correspondre une photo 2D à un point de l'espace visagial. Un vecteur de paramètres photographiques ϱ est introduit, comprenant la position de la caméra (angle azimuthal, élévation), l'échelle, l'angle de rotation plane, la translation, les intensités RGB, le contraste, etc. A chaque triplet (α,β,ϱ) correspond une image bidimensionnelle ; l'algorithme d'identification cherche le modèle minimisant la distance entre l'image 2D associée et la photo originale.

A chaque visage peut être appliqué toute une gamme de transformations modifiant soit les conditions d'observation (éclairage, orientation, etc), soit les caractéristiques intrinsèques (maigreur, masculinité, sourire, etc). En plus des portraits-robots, les possibilités offertes par cette flexibilité concernent certains domaines annexes : jeux vidéos, simulations, etc.

Finalement la norme [iso/iec 19794-5 : 2005] sur les photos d'identité s'inscrit dans l'objectif d'une minimisation des fluctuations du vecteur photographique ϱ, permettant un gain d'efficacité (en termes de temps et de précision) sur la détermination du point de R6N représentant le plus adéquatement le sujet concerné. Les auteurs de l'article ont réalisé un film concernant la projection d'une photo sur l'espace des modèles 3D et certaines des métamorphoses pouvant être opérées.

Dans A bullet with your name on it (Nature #449, sept 2007), David Hall évoque l'existence d'armes ne se déclenchant que si le porteur est légitime et si la cible fait partie des sujets potentiellement dangereux pour la société, cete dernière caractéristique étant déterminée à l'aide d'une base de données globale dont les opérateurs oeuvrent pour le Bien. Tout cela n'est pas gagné...


Little Neo, nov 2007


zZz

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