La valeur de l'argent



Nous regardons parfois autour de nous, observant ce qui nous a précédé. Dans ce domaine il y a des choses merveilleuses : la barbe à papa, le kama sutra, les vendanges, les constructions mathématiques ; mais certains faits présentent un caractère moins reluisant. La lucidité est parfois à l'homme ce que le soleil fut à Icare, et ainsi il est peut-être préférable de rester dans l'obscurité. Concernant le sujet évoqué dans cet article, le lecteur jugera s'il est plutôt digne d'être source de réjouissement ou de consternation.

Lorsqu'on aborde le thème de l'argent comme moyen d'échange, diverses réactions apparaissent : l'indifférence, la fascination, le rejet, le doute, la satisfaction, le dégoût, la résignation, etc. L'utilisation d'une monnaie dans une collectivité est implicitement basée sur la confiance vis-à-vis de cette monnaie, et dans un esprit de refus de l'abolition de l'esprit critique, cette confiance mérite d'être justifiée.

Une vision noire

L'amour de l'argent est racine de tous les maux, dit-on, et dans ce cadre, les principaux arguments des tenants de la vision sombre de l'argent sont les suivants. Le fonctionnement actuel de l'économie entraîne la croissance faramineuse de la masse monétaire mondiale, avec pour conséquence une diminution continue de la valeur de l'argent (inflation). En effet, la valeur de l'argent ne peut être maintenue constante ni augmentée, car la valeur des marchandises et services produits et echangés dans le monde ne suit pas la croissance de la masse monétaire et ne peut pas viablement la suivre, entre autres en raisons de nos ressources limitées.

Parallèlement, une proportion de plus en plus importante de la masse monétaire est détenue par le système bancaire, par l'entremise des intérêts des prêts concédés. La combinaison de ce phénomène avec l'inflation s'apparente à un transfert permanent de richesse vers le système bancaire. Cela résulte en une tendance de paupérisation massive, qui alimente une dynamique d'endettement global auto-entretenue. A terme, c'est une faillite généralisée, des Etats et des populations, qui se profile.

L'essence de ce schéma réside dans le principe de la création d'argent et dans les répercussions de l'exécution d'un prêt bancaire sur l'économie globale. Lorsqu'un prêt, tel une hypothèque, est contracté auprès d'une banque, le mécanisme suivant est enclenché :
  1. L'argent prêté P est créé par la banque sous forme scripturale (numérique), et vient gonfler la masse monétaire totale M. L'argent correspondant aux intérêts n'est pas créé.
  2. Le montant du prêt est ajouté au crédit de l'emprunteur, qui devra rembourser d'abord les intérêts, puis l'argent prêté. Le total à rembourser P+I vient gonfler la "dette totale mondiale" D d'une quantité supérieure à l'augmentation de la masse monétaire.
  3. D'un point de vue global, le montant de la dette D+P+I est supérieur à la masse monétaire M+P. De ce fait tous les emprunts ne peuvent être remboursés.
    1. Si le prêt ne peut être remboursé, deux cas sont envisageables :
      1. de nouveaux prêts doivent être contractés. Retour au 1. Comme ce phénomène est inéluctable, la masse monétaire croît, et la dette totale croît encore plus. C'est le principe de la spirale du surendettement.
      2. l'emprunteur est en situation de faillite, ses biens engagés sont alors transférés au système bancaire
    2. Lorsque le prêt est remboursé, l'argent du prêt P est détruit, et l'argent des intérêts I a été transféré du monde extrabancaire vers le système bancaire. A aucun moment la banque prêteuse n'a eu moins d'argent qu'avant le prêt..
Ainsi, les seuls transferts monétaires de la sphère bancaire vers le monde extrabancaire sont les intérêts sur les comptes bancaires, qui restent marginaux. Evidemment c'est très schématique, mais c'est ainsi, dans les grandes lignes, que fonctionne l'économie : l'argent est dématérialisé et s'identifie littéralement à des promesses, jusqu'à ce que le système, dans son essence pyramidal, ne s'effondre.

Un film valant parfois mieux qu'un long discours, celui de Paul Grignon, "Money as Debt", offre très pédagogiquement une vision sombre des principes soutenant la création de l'argent en ces temps modernes.

Voir1 [ Money as Debt ]


Plus modéré, l'institut Von Mises déplore les règles du système monétaire en vigueur, avec des arguments qui raviront les partisans de Ron Paul.



Devant cet état de fait, les philosophes auront soin de disserter sur l'apogée de la chrématistique aristotélicienne sournoise...

Une vision rose

Toutes les personnes défendant l'emploi du système de réserves fractionnaires ne sont pas toutes des Largo Winch ou des milliardaires en puissance. D'après le principe selon lequel il est cinq heures quelque part, il existe en permanence des personnes ou des entreprises ayant besoin d'un prêt, et la centralisation des services de prêts grâce aux banques constitue un service universel facilitant la circulation de l'argent et renforçant l'économie. Ainsi, bien qu'il faille concéder que les bénéfices soient redistribués aux actionnaires tandis que les pertes sont mutualisées, ce qui confère une certaine asymétrie dans la gestion de risque, les rémunérations de tels agents économiques sont justifiées.

De plus la création d'argent par l'intermédiaire des prêts est raisonnable puisque la plus-value apportée aux richesses réelles que va permettre le prêt nécessite une augmentation adéquate de la masse monétaire afin d'éviter la déflation. La destruction de l'argent lors du remboursement peut correspondre aux pertes dues aux amortissements.

D'autre part associer la richesse d'une communauté à ses seules ressources matérielles est limité. Ainsi le produit intérieur brut comprend une part immatérielle constituée de services et de valeurs virtuelles. Ces dernières sont quasiment illimitées potentiellement et il ne convient alors pas de borner la masse monétaire par l'intermédiaire de considérations de limites matérielles et environnementales. Pour Peter Thiel, la création de connexions représente une valeur économique certaine, bien qu'immatérielle. La valeur n'est pas dans les atomes mais dans l'information.



Finalement, en considèrant l'économie comme une "science de la valeur"2, toute personne intéressée par la valeur des choses devrait-elle se plonger dans ses méandres ? Heureusement il existe le pragmatisme, et il sera simplement conclu que l'argent permet un gain notable de notre ressource la plus précieuse, le temps.

Bilan

Plus que noire ou rose, toute une gamme de couleurs est offerte à la vision de l'homme, qui avec le temps déambule dans l'espace dialectique de la réalité de l'argent. En attendant, bien que l'un des leitmotivs de ce site, comme le lecteur l'aura remarqué, soit de soutenir que tout est nombre, la réalisation de l'idée selon laquelle certains accomplissements n'ont pas de prix constitue une source d'émerveillement que chacun appréciera à sa manière.



[1]  Eventuellement il est possible de rapatrier la vidéo flash puis de la convertir localement, genre :

$ wget "http://vp.video.google.com/videodownload?version=0\
&secureurl=rwAAANM6k2m0KsmhrbeI6jqJZt9krrs9Vrm5z4KtDDrg3U\
4gUqTV2huNRxhjFcqvlI5T8w10Bgeji8DAPF11Of6647MDOAJEZwFM-\
sULKle1d5usRB7vKR6wWmCWJXY7JTGDpcOZ2e9Sq0HeD_YZEzsxq\
Z3jILZQFKp2n1r7gjUmxfgcN0lzCDy9sQ65ouMuzZo2KZ2YgwVEglA-\
9FuUbRcN6IFo9Bm8Mh-XeDnZ5KNMAs4R&sigh=4hdzps4Us3b600Coyd\
IDIqCvuIs&begin=0&len=2827224&docid=-9050474362583451279" -O _.flv\
&& ffmpeg -i _.flv "Money as Debt.avi"

Pour les francophones-non-anglophones, voici en bonus exclusif la transcription en français, ainsi que les sous-titres associés (merci qui ?).

Télécharger [ Money as Debt.fr.srt ]

Concernant leur décalage temporel éventuel, la transformation des retours chariot, ou la conversion vers un charset autre qu'utf-8, tout cela est sympathiquement laissé en exercice au visiteur.

[2] Parler de "science" est délicat puisque l'idéal de l'homo economicus s'est volatilisé au profit d'une approche plus comportementale que normative. Ainsi, dans l'esprit de la logique épistémique de la connaissance commune, les économistes mettront peut-être au point une logique économique de la reconnaissance commune...



Little Neo, janvier 2008



zZz

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