L'IRCisation du Web : vers une nouvelle dialectique de l'apprentissage



Le contexte : imaginons que, pour des raisons mystérieuses, le cirque sublunaire reçoive un afflux de visiteurs en provenance du site de M. Paul Jorion. Site qui traite, hé bien, d'argent, de systèmes monétaires, de banques, de psychologie, d'anthropologie, et tutti quanti. Qu'en dire alors ? Si sur le fond certains de ces sujets ont déjà été –certes superficiellement– abordés au sein du cirque sublunaire, qu'en est-il de la forme ? Loin d'une approche unilatérale ou dogmatique, ce genre de site (blog) adopte une attitude collaborative, faisant bénéficier à ses visiteurs des combinaisons des compétences et des idées des rédacteurs et des commentateurs. A ce titre, un long dialogue ayant pris place sur le site s'est révélé paradigmatique des bénéfices intellectuels potentiels de ce type de phénomènes collectifs. Ainsi ce texte n'est autre qu'une compilation de 375 pages de discussions au sujet de l'argent produite par seulement quelques commentateurs, et néanmoins potentiellement constructive et enrichissante, même pour une personne n'y ayant pas pris part.



Bien perspicaces (ou bien chançeux) étaient ceux qui avaient prédit la /.isation (lire : slashdotisation) du web mondial, avec la progressive prise en main de la grande majorité des sites internet personnels, professionnels, et associatifs, par des gestionnaires de contenu et des systèmes de publication en ligne automatisés (dacode, phpnuke, spip, jahia, joomla, drupal, wordpress, dotclear, movable type, scoop, etc). Les progrès technologiques accomplis dans les domaines de l'implémentation informatique des bases de données structurées, de la bande passante des réseaux, et des dispositifs de stockage, ont permis le développement et la mise en place de systèmes arborescents de commentaires menant à une interactivité croissante entre publieurs et visiteurs, ou autrement dit entre auteurs et lecteurs.

Un protocole populaire

Même si le principe n'est pas nouveau – on peut penser notamment aux BBS des années 1980, sa mise en oeuvre progressive au sein du protocole HTTP a popularisé ce type d'échanges à un degré jamais atteint au niveau des protocoles plus spécialisés, que sont typiquement l'IRC et le NNTP. Il est concevable que les interfaces plus conviviales et attrayantes des sites web ainsi que leur visibilité plus marquée pour les non-spécialistes soient à l'origine de l'adhésion qu'ils ont ainsi pu susciter.

La généralisation des systèmes de commentaires et des blogs a ouvert la voie vers une forumisation, une agoraïsation des sites internet, transformant chaque page, chaque texte, en place publique, en espace sujet au débat. De fait les posts et billets des blogs relèvent aujourd'hui dans l'ensemble plus du domaine interrogatif que du domaine déclaratif. Un message ainsi publié est implicitement habillé d'un appel au débat, aux discussions, aux soutiens, aux conseils, aux contradictions.

C'est pour cela que dans une certaine mesure on peut considérer qu'une grande part du cyberespace s'est transformée métaphoriquement en gigantesque serveur IRC au sein duquel d'innombrables conversations électroniques sur d'innombrables sujets ont lieu. L'archétype de cette IRCisation du web est peut-être la plateforme de microblogging Twitter où des millions de phrases et de bribes de phrases sont échangées chaque jour. Encore une fois, ce qui différencie le HTTP des autres protocoles sont essentiellement l'accès public (avantage sur les messageries instantanées qui relèvent plus du domaine privé), le stockage des échanges et la possibilité permanente d'apporter de nouvelles contributions (avantage sur l'IRC), ainsi que la popularité du web (avantage sur les groupes de discussion), sans parler des bénéfices offerts par l'intégration potentielle de contenu multimédia.

[David Palmer]
– Le web transformé en IRC ? Incroyable !

Un apprentissage interactif

Il va sans dire que cette architecture ouverte ne se répercute pas sur le lecteur uniquement à travers l'opportunité de consulter les remarques plus ou moins constructives d'autres internautes. Une vision solipsiste pourrait de toute façon conduire ledit lecteur à juger que l'ensemble des pages auxquelles il se trouve confronté aurait été rédigé par une sorte de génie subconscient schizophrène quasi-omniscient et quasi-omnipotent, dont la multiplicité apparente n'est en réalité que projection factice. La texture perméable du web interactif a également des conséquences sur un autre plan : une attitude active peut en effet permettre aux lecteurs d'interagir avec ce qui leur est soumis, ou extensionnellement avec les auteurs ou publieurs en cause.

Un apprentissage actif favorise l'assimilation, la mémorisation, et la réutilisation des informations (les professeurs de langue distinguent vocabulaire passif et vocabulaire actif). L'interactivité peut ainsi beaucoup apporter à ceux l'utilisant intelligemment.

Vers la connaissance comme consensus

Sur un plan collectif, l'intelligence globale de la génération internet vit une ascension jamais connue auparavant, peut-être identifiable à l'avènement de l'imprimerie. Comme répercussion épistémologique conséquentes, se trouve l'assimilation plus marquée de la connaissance à un consensus ; la connaissance se mue en information dialectique contextuelle.

Une illustration typique est l'encyclopédie Wikipédia. Les historiques et les discussions donnent un contexte aux articles, offrant à ceux qui le désirent une perspective moins structuraliste de ladite encyclopédie. D'un autre point de vue ces discussions ne sont pas simplement une aide à la construction de l'encyclopédie mais en sont plutôt une charpente faisant partie intégrante de l'édifice.

Un Web vivant

L'IRCisation du Web, c'est aussi une quantité phénoménale de données ajoutées chaque jour au sein du cyberespace, le nouveau contenu ayant tendance à supplanter l'ancien. Le web a ainsi muté d'une structure quasi-figée, statique, en une entité se métamorphosant lentement puis dont certaines ramifications évoluent à présent en direct, en temps réel ; en bref une sorte d'organisme vivant. Et sa mémoire est longue : le web n'oublie pas.

On finira avec la même conclusion qu'ici : Internet, l'invention du XXe siècle. Sisi.

(à suivre)

Little Neo, avril 2009

zZz

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